Interview eaReckon pour Samplestation

Pour continuer dans les interviews de développeurs indépendants, Samplestation s’est tourné vers Philippe Decuyper principal responsable d’ eaReckon, auteur de plug-ins innovants et originaux comme l’ EAReverb, le BIoXpander, la série ANALOG 87 ou le plus récent EARebound .

_ Avant toute chose, j’aimerais revenir au début de ta carrière, savoir un peu comment tu as débuté . Quelles sont les raisons qui t’ont orienté vers ton activité ?
Je suis tombé dans la musique au début des années 80 grâce au père-noël qui a eu la bonne idée de m’offrir un saxophone en plastique. Le délicieux son émanant de « mon précieux cadeau » a vite convaincu mes parents de m’inscrire à l’école de musique locale, histoire que j’aille casser d’autres oreilles que les leurs . 
C’est alors que j’ai commencé à étudier la musique pendant de longues années avec un vrai instrument dans les mains… une flûte à bec. Mais curieux de nature, j’ai voulu goûter à d’autres plaisirs en transformant tout ce qui m’entourait en « machines à sons » : ordinateurs, barils de lessive, tubes en tout genre, vieux postes de radio… tout en rêvant de synthèse, de sampling et autres appareils coûteux qui me narguaient déjà dans les magazines et magasins . 
Adolescent, j’ai eu la chance de participer à des stages de musique qui m’ont amené à toucher à d’autres instruments (guitare, clavier, batterie) qui sont devenus de vrais compagnons jusqu’à ce que je finisse par concentrer mes efforts sur la batterie.
 Cependant, l’apparition de la norme MIDI et l’évolution des ordinateurs ont joué un rôle important dans cette histoire. Programmer est devenu au fil du temps un moyen plus efficace et propre de créer des machines musicales par rapport à la fabrication d’instruments à partir de choses récupérées dans les poubelles. 
Pour résumer, lorsque je ne pouvais acheter un instrument, j’essayais de fabriquer un « truc ». Les résultats étaient très variables mais j’ai appris beaucoup de cette façon.
A force d’expérimenter de la sorte, j’en suis venu à rêver à mes propres outils.

_ Y a t-il une personne qui t’ai inspiré ou ouvert la voie ?

Des artistes tels que Peter Gabriel, Björk et différents compositeurs de musique de films ont toujours (et sont encore) une source d’inspiration majeure. Je suis très sensible à la part émotionnelle que dégage la musique et au-delà des considérations techniques, j’aime également le ressenti puissant insufflé par la musique de Radiohead et Ryuichi Sakamoto, par exemple ou encore l’énergie brute dégagée par Jimmy Hendrix, RATM, les Pixies ou les Sex Pistols.
Finalement, après avoir été un adolescent sectaire concernant mes goûts musicaux, je suis maintenant à l’écoute de tout ce qui peut me passer par les oreilles. Je découvre régulièrement des perles créées par des « inconnus » sur le web. Tiens, voici un LIEN dont la musique est jouée très régulièrement à la maison .

Ensuite, je dois beaucoup à différentes personnes pour la confiance qu’elles m’ont accordée. 
L’équipe Toontrack a été particulièrement influente. Avoir été Beta testeur puis consultant externe pour Toontrack a été une expérience extrêmement constructive. Les « Toons » ont été les premiers à donner une chance à mes idées et j’ai appris beaucoup grâce à eux. Ils sont d’un professionnalisme qui n’a d’égal que la passion sincère qui les animent. L’histoire de l’entreprise en dit long là-dessus ! En plus, ils sont très sympathiques… Que demander de plus ? 
D’autres personnes ont eu beaucoup d’importance au préalable. Parmi elles, j’aimerais rendre hommage à M. Guy Simon, tout particulièrement.

_ Quelles sont les motivations dans la création d’un Plug-in ?
Les motivations sont souvent liées à un besoin personnel (musical, précisons). Ma relation aux logiciels s’apparente un peu à celle de Tom Hanks avec les jouets dans le film « Big ». Finalement, j’agis comme un grand enfant qui se fabrique les jouets de ses rêves. Sauf que ces jouets ont intérêt à être du genre sérieux !

_ Quel est le plus important à tes yeux ? L’interface, les Présets fournis …?
Tout a une importance mais la priorité reste le son. Ensuite vient l’interface qui doit être intuitive et efficace. Une fois un plug-in stable et longuement testé, des presets peuvent être inclus (uniquement s’ils ont une utilité évidente). Cependant, j’essaie toujours de faire en sorte que les utilisateurs ne se sentent pas perdus devant le plug-in et qu’ils ne soient pas tentés par une utilisation exclusive des presets.

_ Le marché du plug-in est très fourni: penses-tu que cela soit à l’avantage de l’utilisateur ?

Oui et non. Il est sûr que faire un choix peut sembler complexe, surtout lorsqu’il s’agit d’outils qui seront utilisés tous les jours (tels que les effets de dynamique ou EQ). Avant l’avènement des effets et instruments virtuels et étant donné le prix du matériel et les moindres possibilités de choix (souvent liées au budget), nous apprenions à tirer le maximum de nos bidules. Désormais, le choix est très large et la relation qualité/prix est devenue très complexe à appréhender. Des outils abordables, voire gratuits, peuvent être d’une qualité exceptionnelle. 
Personnellement en tant qu’utilisateur, je préfère avoir le choix… à condition que choisir ne devienne pas mon occupation principale .

_ Y a t-il d’autres éditeurs dans ce domaine que tu apprécies ?
J’affectionne particulièrement les produits Toontrack (c’est pour cela que je m’y suis investi, et pas l’inverse) et Spectrasonics. Mais il y en a tellement d’autres !

_ Quel est le produit auquel tu as consacré le plus d’énergie physique ou virtuelle ?
Maximiser la compatibilité de BloXpander avec le plus de plug-ins et de configurations matérielles possibles est surement ce qui m’a donné le plus de travail jusqu’à aujourd’hui. Ce logiciel de part sa nature, est voué à évoluer tout le temps. 
EAReverb a demandé un temps d’écoute et de travail préparatoire important tandis que transformer l’idée originelle d’EARebound en produit fini a été un long processus. Finalement, la série ANALOG87 a requis la résolution de certains challenges techniques.
Tous les produits ont donc nécessité beaucoup de temps mais pas forcément dans les mêmes domaines .

_ Ton récent plug-in EARebound vient de paraître: cela correspond t-il à ce que tu préfères ou t’es-tu laissé orienter par autre chose ?
Un délay peut presque être utilisé comme un instrument rythmique. Par exemple, nous ne jouons pas de la même manière une guitare lorsqu’elle est couplée à un délay, le son produit par l’effet pouvant faire partie intégrante de la mélodie ou de la rythmique obtenue. Il en va de même pour les percussions ou les lignes de clavier.

L’idée d’ EARebound vient de mon obsession pour les percussions environnementales . J’avais l’habitude d’enregistrer des sons divers, de les préparer de différentes manières puis de les séquencer comme des percussions plus traditionnelles . Ceci prenait un temps considérable et n’était pas très flexible.
 EARebound a donc été conçu pour créer, en très peu de temps, des lignes rythmiques à partir de « n’importe quoi » et c’est pourquoi le workflow est assez proche de celui d’une vieille boîte à rythme. Les 16 lignes de délais et les effets intégrés permettent d’obtenir différentes variations d’un même son. C’est en ce sens que les effets ont été conçus pour sculpter chaque « pas » et isoler ces variations les unes des autres.
Au-delà des possibilités créatives, et même lorsqu’ EARebound fait « juste » ce que l’on attend d’un gros délai, toutes ces fonctionnalités permettent d’éviter l’obtention d’une bouillie sonore qui a le potentiel de tuer un mix.

_ Quel est ton meilleur souvenir dans ton activité ?
Après tant d’années à bidouiller dans mon coin, avoir un retour si positif de la part de la presse, de musiciens, d’ingénieurs du son constitue dans son ensemble mon meilleur souvenir.

_ Un conseil à donner aux utilisateurs ?
Faites confiance à vos oreilles !

_ Le futur pour eaReckon ?
Plein de choses ! Des prototypes font patiemment la queue dans la « cuisine »

_ Tes plats préférés ?
Pas les prototypes qui n’ont aucun intérêt gustatif…
Je viens de découvrir deux recettes de samoussas que je veux bien partager. Sinon, la carbonade flamande, l’artichaut, le pâté lorrain, le tajine, les pastillas, la sole meunière, le tika massala… bref, tout passe très bien sauf les endives cuites et le inlagd sill au p’tit déj’ .

Merci beaucoup pour ta patience et la disponibilité .
De rien _

Je tenais à préciser que le support de la part de cet éditeur est assez réactif et ouvert à toute idée ou proposition technique ou autre chose . Et soulignons l’actuelle promotion de lancement autour de l’ EARebound _